Interview de Stéphanie Bodet entre escalade et poésie
Stéphanie Bodet et l’escalade :
Stéphanie Bodet est bien connue dans le milieu de l’escalade où elle avait une place de choix d’abord sur résine avec entre autre en palmarès :
- Première à la coupe du monde de bloc 1999.
- Première à l’épreuve de difficulté de Chamonix 2000.
- Première aux « X games » (blocs) à San Francisco, 1999.
Puis ensuite sur le rocher où là elle a signé de belles réalisations que ce soit de son côté ou le plus souvent avec son compagnon dans la vie et en paroi : Arnaud Petit. Elle affectionne particulièrement les BigWall (est une falaise dont l’ascension nécessite plusieurs jours, du fait de sa hauteur ) de vraies aventures en escalade.
Falaise
- Saint Léger (France) « Dis moi qui tu hais » (8a/8a+ à vue) 2000.
Saint Léger (France) « Le Nabab » (8b+) 2000.
Bloc
- Rocklands (Afrique du Sud) « Nutsa » (8a/8a+) « The Hatchling » (7c+/8a) 2009.
« Deux blocs vraiment majeurs. »
Big wall
- Tsaranoro (Madagascar) « Gondwanaland » 1998.
« Premier grand voyage, première grande paroi et premier bivouac improvisé. » - Tour de Trango (Pakistan) « Eternal flamme » (6240 m / 7a+ / A1) 2005.
« Avec un bivouac à 6000 m sur une petite vire de neige face aux géants himalayens. Magique. » - Salto Angel (Venezuela) 2006.
El Capitan (Yosemite USA) « Free Rider » (1200 m / 7c en libre) 2007.
Taghia (Maroc) « Babel » (800 m / 7c+ max) 2007, ouverture avec Arnaud Petit, Titi Gentet et Nicolas Kalisz.
Madagascar « Tough Enough » (400 m / 8b+ max) 2008. (Libération de la voie en équipe avec Laurent Triay, Sylvain Millet et Arnaud Petit).
Grand Capucin (massif du Mont Blanc, France) « Voie Petit » (450 m / altitude 3838 m / 8b max) 2010.
Chine « Lost in Translation » (150 m / 8a+ max à enchaîner) 2010.
Son parcours plume en main:
Depuis de nombreuses années ont a pu suivre leurs aventures par leurs photos et leur plume dans les nombreux magazines de montagne et d’alpinisme. L’an dernier Stéphanie a publié son deuxième livre sous forme d’une biographie : » A la verticale de soi » aux éditions Guérin-Paulsen.
Un livre emprunt de poésie qui reflète sa philosophie de vie (info sur le livre à la suite de l’interview)
Interview de Stéphanie Bodet :
Tu as commencé l’escalade en compétition, comment es tu venue à ce sport?
J’ai eu la chance de grandir dans les Hautes-Alpes, non loin de la falaise de Céüse. Avant de commencer à grimper à l’âge de 14 ans, j’ai passé tous mes week-ends à marcher en montagne en famille.
Mes parents ne m’ont pas transmis le goût de la compétition mais celui de la nature et de l’effort. Pourtant, j’ai commencé à faire des compétitions à l’âge de 15 ans, suivant le mouvement de l’époque et mes copains du CAF de Gap.
J’étais si passionnée par la grimpe que je suis partie passer mon bac à Aix-en-Provence, pour me rapprocher des falaises et m’entraîner au CREPS d’Aix qui accueillait les jeunes sportifs de haut-niveau.
Comment es-tu passée de la falaise et des compétitions aux grandes voies et aux voyages ?
J’avais déjà goûté à la grande voie durant mon adolescence et j’avais adoré.
Nourrie par des récits de voyages depuis l’enfance, je rêvais aussi de partir. L’agenda des compétitions ne me convenait pas vraiment car je suis rétive aux calendriers surchargés et à la planification…
Lorsque j’ai rencontré Arnaud Petit, en plus d’un coup de foudre, on a senti qu’on avait les mêmes rêves. Il avait déjà ouvert des grandes voies en Corse à l’âge de 20 ans et à la fin d’une saison de coupes du monde, je l’ai accompagné au Grand Capucin, dans le massif du Mont Blanc, pour terminer son projet.
Une grande voie magnifique mais extrême !
Je n’avais presque jamais grimpé sur du granit alors des longueurs dures en altitude avec un sac à dos de 10 kilos, c’était une sacrée initiation ! Cela nous a tellement plu de partager des moments forts en montagne – même si j’ai pleuré un peu à cause du froid:) – que nous sommes partis à Madagascar l’année suivante, juste avant la saison de compétition, pour gravir la paroi du Tsaranoro dans la région des hauts-plateaux.
Une aventure fondatrice pour nous deux avec la rencontre d’une autre culture et un bivouac improvisé au sommet. Ensuite, on ne pensait qu’à recommencer ! Grâce aux primes que nous gagnions en compétition, nous pouvions projeter de beaux voyages.
Et puis très vite, j’ai senti que le sport de haut-niveau était incompatible avec la liberté du voyageur-grimpeur alors j’ai arrêté les compétitions.
Dans ton parcours l’aventure et l’escalade sont l’essence même de ta vie. Tu consacres ta vie à cette aventure perpétuelle. Qu’est ce qui te pousses toujours de l’avant ?
C’est l’inconnu, je crois, qui me donne de l’élan. Dès que j’ai le sentiment d’être enfermée dans un rôle ou dans une situation, j’ai envie de prendre la fuite. J’aime la possibilité de vivre plusieurs vies, de me remettre en question, tout en restant fidèle à certaines valeurs.
Mes motivations ont évolué au fil des années.
Je n’ai plus de grands projets d’expédition et l’aventure, pour moi, s’est transformée.
La véritable aventure, je crois, c’est de rester disponible et ouvert à ce que nous offre la vie.
De cultiver un cœur aventureux même si nous ne vivons pas – ou plus- d’aventures spectaculaires. L’écriture est un nouveau territoire que j’ai envie d’explorer. En ce moment, je me sens comme au pied d’une grande paroi face au roman que j’ai commencé à écrire. Et j’adore cette sensation. A la fois inquiétante et exaltante ! L’impression de ne pas être à la hauteur et d’oser pourtant franchir le pas. Simplement pour le plaisir de le faire et d’essayer de progresser malgré les doutes et les difficultés.
Je crois que nous vivons tous des cycles de vie et que nos désirs changent au fil du temps. Mais l’essentiel demeure.
Pour moi, cet essentiel, c’est de mener une vie simple et d’avoir du temps plus que de l’argent. J’essaie de vivre en adéquation avec ce besoin et de rectifier mon chemin lorsque je m’en éloigne, en essayant de faire les choix adéquats.
En ce moment, par exemple, après une phase de partage qui m’a beaucoup nourrie, suite à la parution de mon livre, je ressens le besoin de retrouver un nouvel équilibre. Du calme et du temps pour lire, rêver, écrire, grimper, me balader, alors je vais essayer d’ajuster mon agenda en fonction de cela, en limitant mes engagements.
A l’heure où de plus en plus de gens travaille derrière un ordinateur, tu as un peu une vie rêvée pour de nombreuses personnes. Était ce vraiment la vie que tu t’imaginais petite ?
Petite, je rêvais d’être égyptologue, bergère et écrivain.
Je me voyais vivre une vie marginale alors je peux dire que j’ai eu la chance de réaliser ce rêve de l’enfance grâce à l’escalade.
Tu es passée du statut d’athlète à celui d’écrivain, même si la transition s’est sans doute faite au fur et à mesure, comment as-tu décidé d’écrire ta biographie à ce moment de ta vie ?
J’ai vécu un tournant à l’âge de 35 ans. J’avais beaucoup exigé de mon corps durant des années, d’autant que j’avais une santé bancale entre l’asthme et les allergies. J’ai traversé une phase d’épuisement physique et le moral a suivi.
Durant cette période de remise en question, j’ai réalisé que j’avais besoin d’une vie plus douce.
J’ai mis la grimpe entre parenthèse durant quelques mois. Je n’avais pas vraiment le choix car je m’étais sérieusement blessée à l’épaule. C’est ainsi que j’ai commencé une formation de yoga. Ces 4 années de pratique m’ont fait profondément évoluer et j’ai repris la grimpe avec un tout autre esprit.
Désormais, je ne recherche plus la performance. Je ne grimpe que lorsque j’en ressens le besoin et je m’autorise à faire d’autres choses dans la vie.
Alors mon niveau a forcément chuté mais je me sens bien ainsi. Ce qui est génial avec la grimpe, c’est qu’elle t’accompagne à tous les âges de la vie. Il y a de très belles escalades faciles auxquelles je ne prêtais pas attention, des parois que je regardais à peine, les jugeant trop petites, comme les Calanques, qui sont pourtant merveilleuses ! Alors c’est comme un vaste territoire que je redécouvre !
Je prends plaisir à vivre de bons moments dans la nature avec mes compagnons de cordée. Et pour en revenir à ta question, j’ai toujours aimé écrire alors j’ai eu envie de raconter cette évolution, parce que je crois que quels que soient nos cheminements, nous en passons tous par les mêmes étapes.
As-tu eu dans l’idée au moment d’écrire ce livre de chercher à inspirer d’autres femmes ou jeunes filles à se réaliser au travers d’une passion (sportive ou non) ?
Je n’y ai pas vraiment pensé.
J’ai surtout essayé de rester au plus près de ce que j’ai vécu, éprouvé. Ce qui n’était pas évident car on souhaiterait parfois embellir les choses, ou ne pas évoquer certains souvenirs douloureux ou embarrassants. Mais la vie est ainsi faite, de hauts, de bas, et j’avais à cœur de retranscrire ces oscillations.
Écrire permet de mettre en lumière nos mécaniques intimes.
Si tu pouvais adresser un message à ces jeunes filles qu’aimerais-tu leur dire ?
Les mots de ma mère : « suis ton coeur ! ».
Même si ce n’est pas toujours évident, car parfois, on ne sait pas vraiment quel est notre chemin, ce pour quoi l’on est fait.
Les instants où l’on ne se sent pas à l’aise dans une situation, où l’on se sent insatisfait, me semblent révélateurs.
Être attentif à ce qui nous convient – ou pas – me paraît essentiel, en amour comme dans le travail.
Tenter de vivre au plus près de ses convictions, de sa nature, car nos rêves de jeunesse nous rattrapent un jour ou l’autre !
J’aurais aussi envie de leur conseiller de ne pas se comparer, même si elles font de la compétition ou des études difficiles. C’est beau d’être inspiré par autrui mais il est inutile de chercher à imiter qui que ce soit.
Comme le disait Oscar Wilde : « sois toi-même car les autres sont déjà pris ! ».
Plus sérieusement, il y a une phrase que j’aime beaucoup. Je l’ai recopiée en lisant le beau récit autobiographique d’Hélène Grimaud, « Variations sauvages ». Son maître de piano lui avait dit : « je ne te demande pas d’être la meilleure. Je te demande d’être unique. Tu seras ainsi dans la plénitude de tes moyens.» Je trouve qu’on devrait dire cela à tous les enfants…
On à un petit passage obligé chez On n’est pas que des collants, on demande à ce que les interviewés nous ouvre leur sac, ou on les questionne sur leur entrainement. Et toi, que renferme ton sac d’escalade ?
Tout ce qu’il faut pour grimper ainsi que des plumes et des cailloux ramassées en chemin qu’on ne voit pas sur la photo car il m’arrive tout de même de vider mon sac de temps en temps.
J’ai aussi une brosse artisanale offerte par un lecteur-grimpeur. Je la trouve très belle, elle est en cade et en poil de sanglier. Parfois, aussi, un carnet et plus souvent un livre.
Où suivre les aventures de Stéphanie Bodet:
Pour suivre les aventures de Stéphanie Bodet, rendez vous sur son blog : https://vagabondsdelaverticale.wordpress.com/about/
« A la verticale de soi » – Stéphanie Bodet
Le livre de Stéphanie Bodet m’a personnellement beaucoup touché, peut être car il est avant tout humain. Dans cette autobiographie on retrouve en effet les grands moments sportifs qui font de Stéphanie Bodet une grimpeuse professionnelle, mais surtout on découvre une femme sensible et empreinte de poésie. Pages après pages Stéphanie nous dévoile ses hésitations, sa construction, ses joies, ses peines et c’est cela qui en fait une histoire de vie qui capte le lecteur. Ici on est loin des livres épiques retraçant les grandes réalisations et laissant de coté les vrais acteurs de ces vies, ce livre fait la part belle aux personnes.
Pour en savoir plus sur le livre : « A la verticale de soi » éditions Paulsen